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Le Racisme en Tunisie: entre Réalité et Déni !

Le Racisme en Tunisie: entre Réalité et Déni !


Les Tunisiens sont-ils racistes ?! C’est la question jusque-là taboue qu’a osé aborder, il y a quelque temps, la chaîne Ettounissya TV à travers un reportage inédit. Le journaliste est parti au fin fond du sud (dans les oasis de Gabès, El Hamma, Jerba…)  pour interroger des victimes et tenter de mettre à nu un fléau jusque-là passé sous silence. Les témoignages sont effarants !

De la même manière que Le Pen ne vous dira jamais: « Si si je suis raciste », il est presque difficile, pour ne pas dire utopique, de trouver un citoyen tunisien « blanc » qui vous dira qu’il l’est. Beaucoup de nos concitoyens, par ignorance ou hypocrisie, se contentent d’affirmer le contraire en balayant d’un revers de main ces accusations. Et pourtant !

Et pourtant, il suffit de recenser les attributs réducteurs dont on affuble les Noirs en Tunisie (Guiraguira, kahlouche, abid, guird, oussif, lasmar…) pour se rendre compte de l’évidence. Dans les rues de Tunis, il n’est pas rare d’entendre ces sobriquets jetés dans l’indifférence générale à la figure de tous ceux qui n’auraient pas… le bon teint ! Et ce, sans le moindre complexe, ni la moindre fausse pudeur !

Comme il n’y a pas mieux que la victime pour parler d’un phénomène, Ettounissya est allée rapporter leurs témoignages. C’est sidérant d’entendre ces Tunisiens noirs à part entière dénoncer cette blessure qui les atteint jusqu’au tréfonds de leur âme. Ainsi, chacun, allant de son anecdote et de son vécu, n’hésitait pas à mettre à nu ce racisme primaire, doublé d’une discrimination criarde,  dont ils sont l’objet. Quand ce n’est pas dans la violence du verbe, le racisme est ici dans l’attitude, le regard, la petite réflexion…

Mais, depuis la révolution, les langues semblent se délier ! Les sujets tabous d’hier sont désormais étalés sur la voie publique. Il est temps aussi que les Noirs de Tunisie prennent leur destin pour sortir de l'ombre et de l'anonymat socio-politique et ne pas se complaire et accepter cette situation. D’ ailleurs les premières associations et forums contre le racisme et la discrimination commencent même à éclore. Après le groupe « Assurance de la citoyenneté sans discrimination de couleur » sur Facebook, c’est « Adam » qui est maintenant en gestation. C’est donc sur les épaules des intellectuels, en premier, que repose cette lourde tâche, à savoir changer cette image négative du Noir.

Un malaise palpable

Rarement métissée, repliée socialement sur elle-même, la minorité noire de Tunisie est victime de racisme et de discriminations.  Presque absents des quartiers chic de Tunis ou de la Marsa, invisibles à la télé, dans l’administration ou dans les hautes sphères de l’Etat, les Noirs souffrent aussi d’un manque de visibilité criard. Dans la plupart du temps, l’intérêt porté aux Noirs en Tunisie est, pour l’essentiel, de l’ordre du folklore: quand ils ne sont pas éboueurs, serviteurs, garçons de café, footballeurs, ils sont souvent exhibés comme des «choses» dans les cérémonies de mariage.

« As-tu déjà vu un Noir ministre, directeur ou responsable important ? », lance cyniquement un des interviewés issus de la minorité noire. La réalité est que dans l’inconscient de nombre de Tunisiens, le noir tunisien (pour ne pas dire le Noir tout court) demeure congénitalement un subalterne. Si ce n’est pas du racisme, qu’on nous dise ce que c’est !?

Par ailleurs, tous ceux qui sont férus du Net et de Facebook ont dû constater la campagne de dénigrement sur les réseaux sociaux dont a été victime récemment Néjiba Hamrouni, la secrétaire générale du Syndicat National des Journalistes Tunisiens (SNJT).Certaines pages multiplient même les injures ouvertement racistes à l’encontre de la journaliste noire traitée de tous les noms d’oiseaux. On en compte même une avocate «voilée» qui s’est permis de publier des caricatures racistes sur son mur.

Le documentaire, somme toute assez riche, a  néanmoins péché par une occultation. En l’occurrence le racisme vis-à-vis des étudiants subsahariens et des employés de la BAD. Si vous saviez ce que subissent ces gens-là dans notre bled, vous en auriez honte ! Vraiment !

Et les Subsahariens dans tout ça !?

Le racisme contre les «Africains» (c’est la dénomination répandue ici, c’est à croire que la Tunisie qui a donné son nom au continent semble se renier) ne cesse de prendre des proportions inquiétantes. Dans le documentaire cité plus haut, un Tunisien « blanc » en parle d’ailleurs sans ambages : « Le racisme entre Tunisiens noirs et blancs n’existe pas, mais existe bel et bien vis-à-vis des noirs venus d’ailleurs », martèle-t-il.

De plus en plus d’employés de la Banque Africaine de Développement et d’étudiants noirs africains sont victimes d’injures racistes chez nous. Dans certains quartiers populaires, dans la rue ou les moyens de transport, quand ils ne sont pas victimes de jets de pierres de la part de nos mômes, il n’est pas rare de les voir assaillis de sobriquets méprisants, du genre guira guira et ghird.

Pour mieux connaître le malaise que vivent les Noirs d’Afrique subsaharienne chez nous, nous avons recueilli certains de leurs témoignages. Il faut dire que certains vous fendent le cœur.

 «Ils (les Tunisiens) regardent les Noirs comme des bêtes de foire. Des enfants m’appellent "guira guira". J’ai l’impression que leurs parents ne les éduquent pas. Les gens croient que si nous sommes ici, c’est qu’il n’y a rien chez nous. Ils ont des préjugés sur les Noirs. On m’a déjà lancé à la figure "Rawah lil bledek", rentre chez toi. Dans la rue, les enfants nous jettent souvent des cailloux et nous traitent de "abid", de "kahlouche", ou de "guira guira". Les taxis refusent de s’arrêter et vont prendre quelques mètres plus loin des Tunisiens. C’est très démoralisant. En plus, beaucoup de Tunisiens sont racistes mais le cachent. On le sent partout, en classe, au resto universitaire, dans le métro. C’est une société très hermétique. Il y a plus d’hypocrites que de gens sincères. », assène M.Z, 23 ans, étudiant mauritanien en informatique. Il ajoute : « J’étais major de ma formation, et mon pays m’a offert une bourse à l’étranger. J’avais le choix entre la France, le Canada et la Tunisie. J’ai opté pour ce pays, car nous avions une très bonne image de la Tunisie. Mais j’ai dû déchanter dès les premiers jours. Aujourd’hui, je n’ai qu’une seule envie: finir vite et dégager de ce bled».

Certains pensent que le racisme est dû à la méconnaissance et au manque de culture générale. C’est l’avis de F.M.D, étudiante gabonaise de 24 ans: «Les difficultés d’intégration résident parfois dans la méconnaissance de l’autre. Je trouve que les Tunisiens connaissent mal l’Afrique noire. Mon prof de fac ne savait même pas la capitale du Mali et croyait que c’est toujours Moussa Traoré qui était au pouvoir. En réalité l’Afrique est assimilée ici à la misère, la famine etc. De ce fait, nous avons du mal à nous faire accepter sur un pied d’égalité. Cela peut étonner les Tunisiens, mais les Noirs Africains ont beaucoup plus de difficultés en Tunisie que les immigrés n’en ont en France. Quand on est Tunisien, on ne peut pas comprendre certaines choses. Il faut vivre l’humiliation au quotidien pour comprendre le calvaire qu’on vit ici.».

B. N. 27 ans, Ivoirien, s’étonne : « Quand nous étions gamins, nous regardions les rares blancs qui s’aventuraient chez nous avec une certaine curiosité. Mais jamais, il nous est arrivé à l’esprit de leur jeter des pierres. »

En Tunisie, les injures racistes ne sont pas encore considérées comme un délit. Il est temps de passer la vitesse supérieure et mettre en place une législation dans ce sens. Arrêter la politique de l’autruche en reconnaissant ce « cancer » dans nos murs serait déjà le début d’une bonne thérapie. Sans vouloir tomber dans la généralisation hâtive, il y a lieu quand même de reconnaitre que beaucoup de Tunisiens en sont malades. D’autres le sont, mais n’en sont même pas conscients. C’est dire si le chemin est encore long et parsemé d’embûches, car les mentalités «miskin» doublées de ce complexe malsain de supériorité ont encore la… peau dure. (Photo CFJ /Y.V.)

O. D.

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